Si vous voulez que j’aime encore,

Rendez- moi l’âge des amours ;

Au crépuscule de mes jours

Rejoignez, s’il se peut, l’aurore.

 

Des beaux lieux où le Dieu du vin

Avec l’amour tient son empire,

Le temps, qui me prend par la main,

M’avertit que je me retire.

 

Quoi ! Pour toujours vous me fuyez,

Tendresse, illusion, folie,

Dons du ciel, qui me consoliez

Des amertumes  de la vie !

 

Que le matin touche à la nuit,

Je n’eus qu’une heure ; elle est finie.

Nous passons, la race qui suit

Déjà par une autre est suivie.

 

On meurt deux fois, je le vois bien ;

Cesser d’aimer et d’être aimable,

C’est une mort insupportable ;

Cesser de vivre, ce n’est rien.

 

Ainsi je déplorais la perte

Des erreurs de mes premiers ans ;

Et mon âme aux désirs ouverte

Regrettait ses égarements.

 

Du ciel alors daignant descendre,

L’amitié vint à mon secours ;

Elle est plus égale, aussi tendre,

Et moins vive que les Amours.

 

Touché de sa beauté nouvelle,

Et de sa lumière éclairé,

Je la suivis, mais je pleurai

De ne pouvoir plus suivre qu’elle.

 

                   Voltaire